Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse

1er Septembre - Je fendis les flots en ce jour d’un été indien homérique, après avoir pris grand soin d’avitailler mon bateau. Ses voiles étaient cousues à la main, son ancre forgée à l’enclume et sa cale feutrée de résine, tout était fin prêt pour un long voyage pauvre en péril d’où je reviendrai indemne. Ce fut comment mes illusions me berçaient, parce que j’étais aussi naïve et insouciante que l’époque l’était encore. Je voulais être libre, virer de bord à tout moment et me laisser porter au gré des vents cléments, peu m’importait la destination. Je pris bientôt la mesure de la précarité de ces certitudes. 
 
 
À l’entrée du détroit de Messine, attirée par la lyre des sirènes, comme d’autres aventuriers le furent, je fis la rencontre du démiurge Ulysse, qui me tenait mordicus que pour lui peu importait le voyage, pourvu qu'on ait une destination; lui, voulant retourner à Ithaque, l’île des siens. Il me posa ainsi deux questions : d’où je venais et vers où je faisais route ? Je l’ignorais et je m’en moquais stricto sensu. Ce fut mon premier tourment mais aussi ma plus grande fortune, que d’avoir écouté ce grand voyageur, héros pour tous, qui me narrait son odyssée ; une quête de sens en filigrane, dont je saisis le sens des mois plus tard. 
 

20 Janvier - Les jours qui suivirent cette rencontre furent indolents. Comme je l’avais prédit et prévu, je glissais paisiblement sur l’onde infinie, accostant çà et là sur les îles qui voulaient bien m’offrir quelques-uns de leurs fruits délicieux, quelques gouttes de leur meilleur miel, gorgé du nectar de leurs plus délicates fleurs. Je me baignais sous leurs cascades d’eaux cristallines et m’assoupissais sous l’ombre disproportionnée de leur feuillage. Au détour de mes tribulations nonchalantes, je fis la connaissance de Rousseau, le Douanier des cueillettes qui s’assurait de la bonne retenue des visiteurs, priés de glaner en quantité raisonnable ce que la Nature produisait. 
 
 
 
 
J’appréciais cette nouvelle vie d’équilibre, de justesse, de respect du vivant. À chaque escale je me satisfaisais de ce qui m’était donné et j'en éprouvais une gratitude infinie. Mais la voix d’Ulysse résonnait sans cesse, comme une litanie, un avertissement. D’où je venais, vers où je faisais route ?

 
13 Novembre - Les mois s’écoulaient. Une nuit, un cauchemar peuplé de monstres marins, de tsunamis gigantesques et de déluges apocalyptiques me fit sortir de mon sommeil. Le cauchemar n’en était plus un et s’intensifiait sous mes yeux affolés: des vagues montagneuses, des nuages terribles et des éclairs de Titans déchiraient mon bateau. Je n’eus que très peu de répit durant plusieurs semaines, la voile se déchira, l’eau s’engouffra dans la cale, tenir la barre m’était insupportable. Le ventre vide, ou plutôt gonflé d’eau salée, les yeux vitreux et l’âme péniblement seule, j’attendais incertaine une accalmie de Mère Nature ou qu’un signe du destin se présente à ma pauvre épave. 

 
 
2 Juin - Puis apparut au loin, dans le silence de la mer Égée, une Terre, une île divine. J’y accostai, réjouie et frénétique malgré la fatigue extrême. L’ultime énergie qui coulait dans mes veines et dans mon coeur me souleva, m’extirpa du navire devenu radeau et me guida sur le cap d’une péninsule à quelques minutes seulement du rivage, j’entrai dans une alcôve rocailleuse de la presqu’île, que l’on nommait Akrotiri. J’y dormis cinq jours sans ouvrir un oeil. 
La faim aux entrailles et le cri des cigales par milliers me réveillèrent finalement, et ma première vision en ouvrant les yeux fut ce ciel indigo. Je découvris autour de moi un univers méditerranéen séraphique et généreux. 
 
 
 
Non loin de là se dressait une cabane de bois, où je fis rapidement la connaissance de son propriétaire, infatigable marin Crusoé, qui m’apprit quelques rudiments de botanique. Triant les graines et marcotant les figuiers, nous échangeâmes longuement sur le sens des choses et le non-sens des autres choses. Nos questions ne trouvaient que très peu de réponses mais cela nous importait peu, nous vivions de l’essentiel : abri, pain, eau, Nature et enfin cette liberté tant convoitée. 
 
Ulysse avait beau dire, et si son destin était bouleversé par les dieux jaloux, le mien connaissait félicité et émancipation, moi qui habitais désormais sur l’île des dieux, Candie, n’en serais-je pas la protégée ? Un soir à la belle étoile, Crusoé m’avoua pourtant être dévoré d’un désir absolu. Celui de rentrer chez lui. Quitter l’île !? Je ne comprenais plus. Quitter ce nouvel Eden où il avait trouvé refuge et bonheur ? Pourquoi ? Il partit, me léguant son plantureux jardin et m’abandonnant aux suspens de mes questions. Les siennes avaient visiblement trouvé leurs réponses. 
Moi, je pleurais.

25 Juillet - L’âme en peine, je me morfondais un jour d’été tout en glanant des cosses de caroubier. Ce jour fut celui où ma vie changea, à jamais. Un jeune homme, à l’exquis nom de Candide, vint à ma rencontre. Il avait faim, grande soif et, perdu, il cherchait son chemin. Je lui offris gîte et couvert. Puis, tous deux repus, vint le temps des questions et nous fîmes connaissance. Il avait beaucoup voyagé et avait acquis de belles relations : Sindbab de Bagdad, Don quichotte d’Espagne, Télémaque d’Ithaque et tant d’autres … Le voyage, selon lui, selon eux, n’était pas une finalité en soi, et tout comme ses pairs il savait que la phrase était au voyage ce que le point final était à la destination. Ses mots, les mêmes que les paroles initiatiques d’Ulysse sonnèrent comme un écho à mes oreilles : une destination, une adresse. 
 
Sans m’en apercevoir, je tombai d’un amour éperdu pour Candide, j’étais éprise de lui et de sa philosophie qui guidait ses pas, sagesse dorénavant mienne.
 
22 Septembre - J’étais sur l’île de Candie, étreinte des bras de mon Candide. Nous vivions dans l’angélisme de notre jeunesse et dans la maturité de nos réflexions. Et je n’avais plus envie de partir… J’avais trouvé ici extase et ataraxie dès lors que l’île avait allumé en moi le feu de ses vertus, j’étais devenue sa créature obligée autant que son invitée, elle était ma patrie autant que mon amie. J’étais tombée d’un amour éperdu pour Candie, j’étais éprise d’elle et de son allure sauvage. Comment m’y prendrais-je pour qu’elle gagne autant les faveurs de Candide ? Et que l’on y demeure ? Je fis alors en sorte qu’une alchimie naisse entre mon Candide et Candie, le stratagème était savamment planifié, le sortilège était en marche …

 
 
                                                               pics   :   Loutro . Chania Botanical Garden .  Platanias . Preveli . Chania Botanical Garden . Preveli .

Lettres à Charlie

b a s s e   t e r r e .  g u a d e l o u p e









21 Février . 14 : 30
Je me souviens de tes yeux d’un bleu horizon, tes boucles cassonade et de la chance que porte ton sourire. Et je nous revois riant en foulant le sol saloniquien, aussi bohèmes et insouciantes qu’est la ville de Cassandre.



Peninsula

p a q u e t a g e .  p e n i n s u l a

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

24 juin d’un autre siècle. J’ai ancrée sur ma péninsule. Une île flottant aux confins de l’infini océan. Exactement comme une île, s’il n’existait ce passage venu la relier au reste du monde. Une subtile nuance qui se baptise isthme dans le jargon des marins ou Insularis Boulevard pour les intimes et que les eaux engloutissent parfois, me laissant soudainement sur ma péninsule fauve et reculée.

féticheur lion du sol

a m p e f y . m a d a g a s c a r









23 : 14 Ils te craignent, petit dragon invisible. Alors, tu te dérobes sur la branche. Ton regard est si fascinant ; ils disent que tu regardes et vers le passé et vers l'avenir. Que vois-tu qui les effraie tant ? Serais-tu une sorte d'oracle que le dieu perdu dans l'herbe nous a envoyé ?
 

ma fille tu t'appelleras Sourire

a m p e f y . m a d a g a s c a r













15   :   23  Je rédige ces lignes sous le tropique du Capricorne, au coeur de l'Île Rouge, sur les bords du lac Itasy, à l'ombre de notre arbre.

Machaon

a s t y p a l e a . g r e e c e

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
10 : 14 
Kalimera Astypalea. On la surnomme l'île papillon.
Je suis en bateau et je ne réalise pas que j'accoste littéralement sur une île au corps de papillon. Je suis sur l'une de ses ailes, au milieu de l'ocelle turquoise de la baie de Vathy. Un papillon est un lépidoptère, du grec ancien lepidos (écaille) et pteros (aile). Une aile parée d'écailles.

dame Laskarina

s k i r o s . g r e e c e
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
11 : 45 
Hier, nos routes se sont croisées. Une auto-stoppeuse marine qui traversait la Mer Égée, d'Istanbul à Spetses. Elle est montée à bord avec pour seule fortune une bourriche d'oursins, une bouteille de vin et sa liberté. Nous avons accosté dans la baie d'une île. Nous avons trinqué et partagé nos états d'âme sur l'univers insulaire. Comme la retzina, les îles nous ont fait tourner la tête.

camouflage

a n t i p a r o s . g r e e c e











23 : 19 Les contraintes et les instruments sont invariablement les mêmes et pourtant la diversité des canons architecturaux insulaires est terrifiante. Une raison sans doute pour laquelle j'aime y revenir.

au sommet de Kefalos

p a r o s . g r e e c e
 
 
 
 
 
 
 
 
 
15 : 20 
Il y a des voyages où je perds toute notion du temps, des matins insulaires où je suis presque somnambule. Très tôt je me traine hors du lit et j'enfile un chemisier et des sandales. Je glisse mes cheveux dans un foulard. J'ouvre la porte. Et la vie m'appartient.

assieds-toi un peu avant de partir

k a s t e l l o r i z o . g r e e c e








21 : 49 Je suis amoureuse.
Mais les histoires d'amour finissent toujours mal, en général, comme le dit la chanson. Elle a pourtant tout fait pour que je reste.